Voyage 2005 - 2007

de Caramel

CHAPITRE 04 : SALVADOR DE BAHIA - RIO DE JANEIRO - OURO PRETO - PARATY



Portraits brésiliens
































Après un retour en Europe fin de l'année pour de bien tristes raisons, l'équipage de Caramel est de retour au Brésil en cette mi-janvier 2006.


A notre escale de Rio, nous passons la journée avec Jérôme et Luciana qui habitent la ville. Au programme, un tour des marinas de la baie. Rien de bien enthousiasmant ! Jérôme me donne deux contacts téléphoniques, dont l'un se révèlera très utile d'enseignements. Michel d'Izarra (Garcia 47) connait très bien le Brésil. Il termine d'ailleurs un guide nautique qui sera édité cette année aux Editions du Plaisancier (2020 : semble épuisé en français > Imray en anglais).













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Nous retrouvons Caramel en fin de soirée, sagement amarré à son ponton. La moitié des bateaux du Rallye est absente. Ils sont partis en balade dans les mouillages de la Baie de tous les Saints.


Alors que je m'attelle à l'entretien des moteurs, Catherine en profite pour faire un tour du quartier historique du Pelourinho qu'elle n'a plus vu depuis quatre ans et refaire l'avitaillement des produits frais.


Petit à petit, les voiliers reviennent au ponton. Presque tout le monde répond présent pour le briefing du vendredi 21 concernant la remontée du Rallye vers Joao Pessoa au nord de Recife. Nous participons à la réunion par esprit de groupe et parce que nous faisons partie du Rallye jusqu'au 23 janvier.


Une dernière soirée nous réunit dans une « churrascaria » (grill sud-américain) de très bonne qualité. Les grillades sont d'une saveur étonnante (restaurant «Boi Preto»).


Samedi, c'est une vraie ambiance de départ qui règne sur le ponton : mains affairées, chariots de provision, stress latent ou coups de gueule… Tout le monde s'affaire pour les derniers préparatifs de cette étape de 500 milles qui se fait normalement au près serré (beurk !).


Pour les derniers départs comme pour les premiers, nous mitraillons les bateaux, histoire de faire à chacun un CD de photos souvenirs prises par Caramel.


Catherine a passé le week-end à revoir ses bonnes amies du Rallye. C'est certain, nous sommes tristes de quitter les camarades avec lesquels nous avions tissé des liens d'amitiés. Mais nous resterons en contact par e-mail pour connaître la suite de leurs aventures. Des rendez-vous sont déjà pris pour se revoir en France.


Le 23 à 10 heures du mat, le ponton est désert à l'exception du cata « Imagine » qui partira un peu plus tard. La vue est désolante et Catherine est bien triste.


Nos amis lecteurs s'étonnent peut-être de cette échappée soudaine de Caramel, mais il leur est rappelé que nous ne devions accompagner le Rallye des Iles du Soleil que jusqu'à Salvador. Nous descendrons ensuite vers le sud et le Rallye remontera vers l'Amazone. Vu la sympathique première expérience du Rallye, nous avions décidé de les accompagner sur la route commune qui s'arrête ici.




ITAPARICA

Philippe Bourgeat largue aimablement nos amarres. « Ate logo Caramel et bon vent vers vos nouvelles aventures». Nous partons aussi mais pas bien loin. Quelques milles nous séparent de l'île d'Itaparica, au sud de la baie. Nous y retrouvons sur un mouillage paisible, Sophie d' «Enomis» et Bernard de «Paréo».


C'est un bon endroit pour caréner Caramel. Après sept mois de navigation en eau chaude et un séjour d'un mois au port, la coque est très sale. Je plonge durant trois heures pour ôter les anatifes et autres lichens qui la colonisent. La puissance des produits européens est trop faible pour les eaux chaudes.


Malheureusement, nettoyer signifie aussi enlever une partie de cette peinture. Ce qui ne fera que réduire encore son efficacité. Caramel peut perdre jusqu'à 50% de sa vitesse avec une coque très sale ! Le prochain grand carénage est prévu à Buenos Aires.


La petite marina d'Itaparica recèle une particularité probablement unique au monde : l'eau qui coule de ses robinets provient directement d'une source d'eau minérale située à 200 mètres . Je voulais remplir les tanks vides de Caramel avec du Vittel local mais pas de chance, la pompe d'adduction est en panne depuis une semaine et il ne coule que de misérables gouttes sur le ponton.


Après trois jours d'activités intenses, nous retournons à Salvador pour accueillir Jérôme et Luciana qui vont nous accompagner jusqu'à Vitoria, capitale de l'Etat voisin au sud de Bahia : l'Espirito Santo.




CAMAMU

Samedi 28 janvier 2006, Caramel largue ses amarres à 06h30. Cap au sud vers Camamu, sorte d'immense fjord dans la forêt tropicale, où se trouvent plusieurs petites villes. Nous mouillons dans la première partie de ce bras de mer, en compagnie de quelques autres voiliers devant la Pousada «Sonia», éponyme de sa propriétaire.


Outre l'aspect sympathique de ce minuscule établissement, on y mange bien et c'est le rendez-vous des marins. Sonia brode sur de petits focs, le nom des bateaux qui sont venus diner chez elle. Il y a quatre ans, nous y avions reconnu «Carré d'As» et cette fois nous y trouvons en plus «Caramel» et «Biche des mers».


Tous ces petits focs s'étalent aux murs de la case-restaurant. Il n'y aura bientôt plus de place mais c'est sans importance, car la Pousada est à vendre. Sonia aussi a envie d'aller un peu naviguer…


La densité de Belges sur l'eau est surprenante : pas moins de trois bateaux de Belges sur la dizaine au mouillage. Jean-Louis vit en solitaire sur son Frioul 38. Agé de 30 ans, son bateau a encore belle allure. Nicky et Carole descendent avec leurs enfants en Patagonie. Nous les reverrons certainement d'ici là.


Lorsque l'ancre remonte sur l'étrave en quittant la baie de Camamu, je ressens un petit pincement. Ce mouillage était le point le plus sud de notre précédent voyage. C'est à cet instant que nous attaquons vraiment le nouveau périple de Caramel.




ILHEUS

En route pour Ilheus, petite ville côtière, dont le Iate Club a la réputation d'être le plus hospitalier du Brésil. Le port céréalier est très ouvert et assez moche (silos). Il n'y a pas de pontons pour les bateaux de plaisance, mais quelques corps-morts. Nous ne pouvons y rester que parce que l'océan est calme. Après chaque utilisation, les quelques bateaux du Club sont systématiquement remontés à terre par les marineros. Manœuvré par un tracteur, un énorme chariot descend le plan incliné jusque dans l'eau et sort les bateaux.


Si les gardiens du Club sont bien aimables, mais nous n'en saurons pas beaucoup plus, car c'est le jour de fermeture ! Nous pouvons toutefois profiter de la piscine et de la splendide vue sur la baie depuis la terrasse.




ABROLHOS

Un jour et une nuit de navigation vont conduire l'équipage dans le petit archipel des Abrolhos, à 30 milles au large de Caravelhas. Ce sanctuaire de la faune terrestre et marine est composé de quatre îles disposées en demi-cercle. Nous prenons un corps-mort sous le vent de l'île principale.


Dès notre arrivée, un dinghy vient à notre rencontre. Un guide nous explique les usages de la réserve naturelle et propose de nous faire visiter la seule île où il est permis de descendre (les autres sont réservées aux oiseaux et … aux militaires).


Aussitôt dit, aussitôt fait. L'île est plutôt un îlot de 400 m de diamètre. Nous n'avons le droit de marcher que sur l'estran empierré. Si les explications de la guide traduites par Jérôme ne sont pas passionnantes, les oiseaux sont vraiment peu farouches et amusants à observer.


C'est le royaume de l'Atuba (Sula Leucogaster pour les instruits), sorte de grande mouette placide, à l'air un peu féroce. Les petits naissent blancs, puis leur plumage vire au brun la première année avant de redevenir blanc à l'état adulte. Ces oiseaux de mer vivent 10 à 15 ans et l'archipel est un haut lieu de reproduction. La visite est courte mais l'approche de gros oiseaux à l'état sauvage est une première pour moi. Un peu crâneurs, les volatiles se laissent tirer le portrait pour le site de Caramel.


A notre retour sur le bateau, je m'équipe du masque et des palmes pour rendre visite à la partie sous-marine de la réserve. La côte rocheuse n'est qu'à 100 m du mouillage. C'est un concentré de poissons tropicaux : anges de mer, chirurgiens, vivaneaux, sergents, perroquets énormes, barracudas et tous les autres sont là et peu farouches. Je dérange un petit requin citron d'un mètre qui s'en va sans demander de comptes. Je prends la direction opposée en palmant probablement un peu plus vite…


Les fonds sont basaltiques, mais la roche est semée de petits blocs de corail «cerveau». Cela ne vaut pas Fernando de Noronha, mais cela fait plaisir de revoir tout ce beau monde.


Deux couples de paille-en-queue se poursuivent dans les airs en piaillant comme des perroquets. Distrait ou trop concentré sur leurs chamailleries, l'un d'eux heurte le mât d'artimon et tombe assommé sur le pont ! Vraiment étrange. Il est sonné mais vivant. Catherine et moi l'emmenons à terre en dinghy pour le remettre aux guides. Ausculté, l'oiseau n'a pas l'air d'avoir les os brisés. Il est simplement étourdi, aux sens propre et figuré. Nous convenons de prendre des nouvelles du grand distrait, le lendemain matin par radio.


Après un méga barbecue, nous tombons de sommeil et nous endormons sans délai.




VITORIA

La prochaine escale est Vitoria, distante de 140 milles. Nous quittons le mouillage après avoir appris que le paille-en-queue va mieux. Il survivra.


Le vent n'est pas au rendez-vous et nous avançons au moteur toute la journée. En début de nuit, une brise de 8 nœuds nous permet tout de même d'avancer sous voiles seules.


A la même heure, nous apercevons une plate-forme pétrolière. D'abord prise pour un bateau, il était évident que cet objet flottant brillait de trop d'éclairage sans aucun feu de navigation. Nous voilà prévenus, nous entrons dans un des champs pétroliers qui longent la côte brésilienne.


A peine cette plateforme dépassée, nous traversons un groupe de trois bateaux manifestement en train de chaluter par trente mètre de fond. Le plus proche prend contact avec nous par VHF. J'appelle Jérôme à la rescousse. Le pêcheur nous demande de prendre une route plus sud pour éviter son attirail de pêche. Deux minutes plus tard, il annonce qu'il a levé son chalut. Luciana et Jérôme s'inquiètent un peu et me demande de changer de route à nouveau pour voir si les deux autres chalutiers ne font pas route sur nous. Rien ne se passe et un quart d'heure plus tard, nous avons dépassé tout le groupe.


La méfiance est une seconde nature chez les brésiliens aisés … Je ne leur jetterai pas la pierre, j'ai trop entendu d'anecdotes qui se terminent plus ou moins bien.


Nous restons en veille radio sur le canal 16. Assez curieusement, nous captons très bien le port de Vitoria distant de cent milles. Encore une anomalie de propagation des ondes radio dans la région ? Ou est-ce simplement la voix de l'Espirito Santo ?


Toute la nuit, le champ pétrolier nous promène dans son univers fantasmagorique, avec son cortège d'interrogations optiques, de scintillements tous azimuts et de zigzagodromie entre les plateformes, les pêcheurs et les bateaux de travail aux formes mystérieuses.


Entre deux fantaisies optiques, il reste un peu de temps pour regarder la Croix du Sud qui monte bien haut dans le ciel, poussant à l'eau le baudrier d'Orion aux petites heures de la nuit.


Au milieu de la matinée, un groupe de cargos à l'ancre nous indique la baie de Vitoria, capitale de l'Etat d'Espirito Santo. La baie est très large, Caramel s'y glisse sans problème. Au fond de la baie, entre deux presqu'îles et devant une plage bordée de cocotiers : le ICES (Iate Club d'Espirito Santo). Rien que le nom rafraîchit déjà !


Nous prenons place à quai. Une activité intense règne sur les pontons. Demain, c'est le départ de la régate du Club qui relie Vitoria à l'île brésilienne de Trinidad et retour (1200 milles). Nous voisinons avec le voilier de l'Ecole Navale. Echange de cadeaux. Nous recevons des teeshirts.


Jérôme et Luciana s'en retournent à Rio, alors que nous prenons nos aises à la piscine, pour le plus grand plaisir de Catherine.


Les centres d'intérêts de la ville sont vite épuisés, mais nous sommes bien à deux sur le bateau et dans les installations du Club. Le temps ici passe bien vite, une semaine s'est déjà écoulée. Ce sont nos vacances. Ceux qui ricanent au troisième rang sont priés de passer au paragraphe suivant !


Les formalités de sorties de l'Etat se font rapidement à la Capitania dos Portos. Caramel y était attendu. L'informatique fonctionne bien également chez les militaires …




BUZIOS

Deux cents milles nous séparent de la célèbre station balnéaire. La navigation pour y arriver nous fait passer entre la côte et le plus grand champ pétrolier brésilien (plus de 100 plateformes).


Vu la précédente navigation de nuit, je m'attends à une nuit très active. Résultat : rien du tout. Pas de derricks, pas de bateaux de travail, même pas de vent ni de courant. Le seul moment un peu chaud est l'évitage en toute fin de journée d'un filet flottant mis à l'eau par un bateau de pêche situé à six cents mètres de nous. Rontudjûûû, de nuit nous étions dedans.


C'est curieux, la vie semble avoir déserté l'endroit. Toujours pas de dauphins et plus de poissons volants. Seule une grosse tortue est aperçue. Elle réchauffe sa carapace sur une mer plate.


En fin de journée, une bande de sternes prend le balcon avant comme perchoir. Comme il y a beaucoup de candidates, elles réinventent le jeu de chaises musicales. «Je pépie, je donne des coups de bec et je me pose à ta place», voilà les règles du jeu.


Un jeune fou, témoin du vacarme et un peu benêt, décide aussi de jouer. Après cinq survols au-dessus de Caramel, il se pose en catastrophe sur la plage avant, trop courte pour son poids. Il termine sa glissade, la tête dans le balcon avant. Un peu hagard, il examine son nouvel environnement et la bande de sternes hilares perchées juste au-dessus de lui.


Les émotions, c'est bien connu, détendent les sphincters. La plage avant de Caramel est tartinée de guano, mais le spectacle valait bien le nettoyage qui a suivi.


Nous arrivons de nuit dans la baie de Buzios, le Saint Tropez brésilien. Quand je dis Saint Tropez, vous allez me dire que c'est une image, une référence. Non ici c'est bien plus que cela. La vraie Brigitte Bardot est venue dans les années 60 faire un peu de pub. Depuis lors, le mythe s'est développé. Il y a pléthore de restos français. Les noms des boutiques et des pousadas (auberges de charme) sont dans la langue de Voltaire. Une statue en bronze immortalise la chère protectrice des bébés phoque. Ladite statue représentant évidemment BB à l'âge de 23 ans …


C'est un village sympa, les maisons rappellent un peu les mas de Provence et les autorités ont interdit les constructions en hauteur. Nous sommes en fin de saison et le weekend est pluvieux. Les habituels touristes de Rio ne sont pas venus en masse.


L'ambiance de la station est plus internationale : argentins, scandinaves, allemands, français et anglais déambulent dans la rua das Pedras nimbée des musiques cool qui s'échappent des bars. On est loin du gros flonflon populaire brésilien. Nous en profitons pour faire un excellent diner dans un resto français.


Sauf que le dernier soir, sur le caïque de promène-touristes mouillé à côté de nous, le marinero pousse la sono à fond pour savonner le pont. Quand je dis à fond … les haut-parleurs se tordaient de douleur et saturaient à la limite du court-circuit. Le son semble être une sorte de rap brésilo-tribalo-techno beuglant.


Après une demi-heure de casse-oreilles et de nerfs écorchés, je pars en annexe pour lui demander de baisser un peu le son. Je dois hurler pour qu'il m'entende. Dans mon brésilien très approximatif mais rendu fluide par mon énervement, je lui répète trois fois la même chose avant qu'il ne daigne lever la tête d'un air ahuri.


Je ne sais si c'est à cause de cet air, de mon agacement visible ou de la perte de faculté auditive, mais le bonhomme a continué son boulot pendant l'heure qui a suivi avec le même niveau sonore. Je crois que c'est la première fois de sa vie que ce brasilopithèque entendait une telle requête. On est bien au Brésil. Rontudjûûû !


La musique enfin disparue, la pluie commence à tomber. Pas la trombe amazonienne, la pluie continue, celle qui remplit l'annexe dans la nuit, celle qui traine la nuit tout le jour. Pour éviter de se faire tremper, les moustiques se réfugient à l'intérieur de … Caramel. Vous croyez que c'est toujours drôle la plaisance ? Vous ne savez pas la chance que vous avez d'être au calme dans les embouteillages et au sec par une température hivernale.




CABO FRIO – RIO DE JANEIRO

Aujourd'hui c'est dimanche, un peu écœuré par la mauvaise nuit d'hier, nous larguons le corps-mort sans trop tarder. Pas de messe pour Catherine ce matin. C'est tout de même une journée de repos avec 16 milles au programme : Buzios – Cabo Frio. Où nous passons à nouveau une nuit d'orages, de tonnerre et de pluie dans une baie superbe et pour nous seuls.


Au terme d'une bonne soixantaine de milles supplémentaires, nous atteignons une étape mythique : Rio de Janeiro.


Nous sommes déjà venus deux fois à Rio par avion (bien plus pour Catherine). Le survol de la baie est superbe mais court ! L'arrivée en bateau se déguste pendant deux heures avec des points de vue changeants.


De loin, on reconnaît d'abord le Corcovado et son gigantesque Christ rédempteur, puis au fur et à mesure de notre avance, les détails se mettent en place : le pain de sucre remarquable à l'entrée de la baie, la plage de Copacabana.


En pénétrant dans la baie, l'enfilade du pain de sucre et du Corcovado est un point de vue unique. A propos, savez-vous pourquoi le Christ a les bras si largement écarté ? C'est pour applaudir très fort le jour où les cariocas commenceront à travailler …


Il est déjà tard, dans une demi-heure il fera noir. Nous décidons d'aller mouiller dans la baie du Iate Club de Rio, où normalement les visiteurs ne sont pas les bienvenus. Bien nous en a pris, il y a une multitude de corps-morts libres parmi des centaines d'autres qui amarrent des voiliers.


C'est un repas émouvant que nous prenons ce soir entre les deux symboles de la ville. Pour faire bonne mesure, la pluie nous rappelle que l'heure de la vaisselle a sonné.















ILHA GRANDE


Notre intention n'est pas de rester à Rio. Nous connaissons l'essentiel de la ville et personnellement je n'ai pas une passion pour elle.


Notre prochaine étape est la baie d'Ilha Grande où se trouvent Angra dos Reis et Paraty. C'est LA région de la plaisance brésilienne, distante d'une journée de navigation … au moteur car depuis plusieurs jours le vent est pratiquement nul.


Sitio Forte est la baie d'Ilha Grande qui nous accueille pour la nuit. C 'est une icône du paradis tropical : des collines à la tignasse de cocotiers, des bougainvilliers arborescents et une plage de sable blanc entre forêt et eau calme qui abrite une paillote. Ici des jeunes femmes délicieusement bronzées en mini bikini servent des jus de fruits frais et glacés … alors que des nuées de moustiques nous attaquent férocement juste avant la trombe tropicale.


Il y a quelques voiliers au mouillage avec nous. Ce sont tous des brésiliens. C'est tout de même étonnant, depuis pratiquement Salvador (à 1.500 km), nous n'avons vu aucun voilier étranger. Sommes-nous sur la bonne route ?


Le crépitement lourd de la pluie qui tombe sur le pont de Caramel m'interpelle alors que j'écris ces lignes. Dans ces moments où la nature est plus grise, nous pensons à nos proches et à nos amis. Chacun à notre tour, Catherine et moi préparons des mails sur l'ordinateur. En téléchargeant nos mails, nous recevons des nouvelles du Rallye via nos amis de Tuamitoo et Bamako.


Ce matin, après un petit déjeuner rapidement avalé, je vais constater la quantité de pluie tombée dans le dinghy. Il y a plus de 10 cm d'eau . Considérant que sa surface fait +- 2m², cela donne 100L/m² pour la nuit. Pas mal !


Je pompe rapidement le pédiluve tout en admirant la sérénité de la baie. L 'eau est lisse, le silence n'est percé que par de rares cris d'oiseaux, un voile de brume laiteux stagne entre deux collines verdoyantes. Le paradis est bien notre voisin.


Paraty n'est qu'à vingt milles d'ici tout à l'ouest de la baie. Nous contournons Ilha Grande par le nord, puis passons entre une série d'îlots aux rochers ronds dont certains sont la propriété de riches brésiliens.


Au Brésil, les riches sont très riches. Un seul exemple : le principal producteur agricole du pays possède plus d'un million d'hectares sur lesquels il produit du maïs, du soja et du blé. L'entreprise intègre aussi les usines de déshydratation, les silos de stockage, le port céréalier et la flottille de cargos de transport … Ce genre de Capitaine d'industrie doit se promener avec des gardes du corps et se déplace essentiellement par voies aériennes, même au sein de la ville.




PARATY

Ces considérations amènent Caramel devant Paraty, vieille cité coloniale nichée au bout d'une baie peu profonde. Nous mouillons à quelques centaines de mètres de la jetée. Catherine et moi faisons notre entrée dans l'Etat de Rio de Janeiro à la Capitania dos Portos. Tout est en règle.


Paraty, c'est le reflet intact de l'urbanisme et de l'architecture coloniale portugaise du 19 ème siècle. Initialement, port d'exportation de l'or du Minas Gerais vers l'Europe au temps des caravelles, Paraty est tombée dans l'oubli à la fin du 19ème, ce qui a préservé son authenticité.


Ce village de maisons basses aux couleurs pastel s'étire le long de longues rues perpendiculaires pavées de cailloux jamais plats et aux joints incertains. Pour observer les façades, il faut s'arrêter sous peine de se tordre une cheville. La mode actuelle des semelles compensées doit donner du travail à l'hôpital local.


Tout le village est construit au niveau de la plage et aux marées de vives eaux, la mer envahit une partie des rues de la ville. Des passerelles de bois permettent parfois de traverser vers le trottoir d'en face, sinon il faut déchausser.


Paraty est devenue une gigantesque usine à touristes, mais en semaine et hors saison c'est sympa.


Nous cherchions une marina sûre où laisser Caramel, le temps d'une escapade dans le Minas Gerais et d'un rapide retour en Europe. C'est à Michel que nous devons de nous être arrêtés à la Marina Engenho.


Nous trouvons à Engenho quelques navigateurs étrangers qui préparent leur descente vers l'Argentine ou qui attendent l'hiver pour remonter vers le nord. Une chose est certaine, Caramel n'est pas en avance sur la saison de navigation. Idéalement nous devrions être pour la mi-mars à Buenos Aires, or nous ne partirons que le 20 mars pour cette navigation de 1100 milles vers le sud. Espérons que les vents ne seront pas trop contraires et que les pamperos (vents violents) ne nous feront pas fumer de trop gros cigares.


Caramel est installé, nous pouvons partir à l'assaut de Belo Horizonte pour rejoindre Augustin et sa famille. Le lecteur attentif se souviendra peut-être qu'Augustin a été notre équipier lors du premier voyage entre Salvador et Recife. Sa connaissance du monde brésilien et sa pratique courante du portugais avaient ravis les participants du Rallye de l'époque.









BELO HORIZONTE : LE VOYAGE

La ville est distante de plus de 600 km de notre port. Pour la rejoindre, nous prenons un bus jusqu'à la ville d'Angra puis un autre bus jusqu'à Belo Horizonte. La durée des trajets et les correspondances nous font passer une nuit à Angra dans une petite pousada construite verticalement à flanc de falaise. Nous occupons la chambre du premier niveau, juste au-dessus de la mer, à côté d'une mini piscine débordante. Lorsqu'on nage dans l'eau douce et fraîche, nous avons une vue plongeante sur les îles de la baie d'Angra. De nuit, l'éclairage sur l'îlot-chapelle de Bomfin rend la vue magique.


Le bus est un moyen de transport très utilisé au Brésil. Les grandes villes sont reliées par avion, mais les petites villes ne sont généralement pas équipées d'un aéroport. Angra est une petite ville moche qui vit des chantiers navals proches et de la centrale nucléaire brésilienne installée dans un recoin au nord-ouest de la baie d'Ilha Grande. Habituellement, pour les longs trajets, les bus sont de type «Ejecutive» mais la seule compagnie qui effectue ce trajet ne nous propose qu'un bus «Conventional» tout de même confortable.


Si le bus est «Conventional», le chauffeur ne l'est pas … Il passe ses vitesses comme un cowboy, prend ses virages à toute allure et dépasse en prenant de gros risques. Catherine est terrorisée, prête à descendre.


Après une bonne heure de conduite sur des routes de montagne, nous passons un ralentissement créé par un camion qui a versé et répandu tout son chargement de gravier sur la chaussée. Les accidents, cela n'arrive qu'aux autres.


Un peu avant la sortie d'un long tunnel, notre bus croise un camion chargé à bloc de boites de bière. Chaque véhicule serre à droite, mais à l'évidence, ce sera juste. Notre bus stoppe alors que le camion continue à petite vitesse en accrochant la carrosserie du bus juste à ma hauteur …


Le camion s'immobilise et tout le trafic également. Palabres, appel à la police (il n'y a pas de constat d'accident) qui met une heure pour arriver dans notre bled. Re-palabres puis enfin nous repartons après une heure trente d'arrêt.


Le paysage est assez monotone. C'est à perte de vue, des monts et des vaux couverts d'une herbe grasse et haute, parsemée de petites étendues boisées. Augustin m'expliquera que les paysages sont à la mesure du pays. Si en France on traverse par exemple la forêt de Sologne sur 40 kilomètres, ici la forêt sera présente sur 500 kilomètres. Ce qui explique l'apparente monotonie du paysage.


De temps en temps, nous croisons l'entrée d'une fazenda (ferme) d'élevage. Celles-ci font des milliers d'hectares et les bêtes semblent paître librement sur ces grandes étendues. Les fazendas sont souvent très isolées et certains propriétaires ne manquent pas de moyens. Un passager du bus nous explique que la piste d'aviation pour jet que nous voyons sur la gauche a été construite par le «fermier» pour faciliter ses déplacements. Pour la bâtir, il a tout simplement tranché la falaise de roc sur la droite jusqu'à obtention de suffisamment de ballast pour les fondations de la piste goudronnée …


Toutes les trois heures, le bus s'arrête dans un «lanchonete» (bistrot) d'étape où les passagers et le chauffeur peuvent se sustenter. Nous changeons de chauffeur après trois heures de conduite. Celui-ci adopte une conduite plus souple et plus agréable. De plus la route est maintenant rectiligne. Catherine se rassure un peu.


Depuis plusieurs heures, nous longeons une voie de chemin de fer. De temps en temps nous dépassons un convoi de wagons de minerai de plusieurs kilomètres, tiré par deux locomotives. Nous sommes dans le Minas Gerais (Mines générales), où est exploité le minerai de fer.


Peu avant la nuit, au détour d'une des nombreuses villes sans nom, nous ralentissons à nouveau. Lentement la file de voitures passe devant une automobile entourée de policiers. La voiture est en travers de la route sur la bande de gauche. Le côté conducteur est largement enfoncé, le pare-brise a disparu et le conducteur est coincé à l'intérieur.


Après 12h30 de voyage, le chauffeur arrête son véhicule dans la gare des bus de Belo Horizonte. Il a conduit plus de neuf heures … Augustin nous attend sur le quai, nous pensons déjà à autre chose.




BELO HORIZONTE : LA VILLE

Augustin enseigne l'Histoire de l'Art et l'Architecture d'intérieur à l'Université de Belo Horizonte. Naturellement doué pour la pédagogie, il est un guide parfait pour nous mener vers l'essentiel et éclairer nos lanternes sur la quatrième ville du Brésil.


Nous faisons la tournée des réalisations architecturales d'Oscar Niemeyer, le célèbre architecte brésilien. Contemporain de Le Corbusier, il est connu pour avoir réalisé avec l'urbaniste Lucio Costa, la ville de Brasilia aujourd'hui capitale du Brésil. Cette édification de toutes pièces et au départ de rien, a débuté en 1956 pour être officiellement inaugurée en 1960. Brasilia devait être l'image d'une ville moderne où l'homme et la nature devaient s'intégrer et cohabiter largement. Il en est né une ville un peu utopique aux espaces et aux distances démesurés entre les bâtiments. Sans âme et sans facilités, il a fallu menacer les fonctionnaires pour qu'ils y viennent … Aujourd'hui, les distances sont toujours les mêmes, mais une vie sociale s'y est développée. En même temps que l'utopie sont nées les favelas des travailleurs de la construction aux alentours de la ville …


Mais Oscar a débuté à Belo Horizonte. En plus d'un immeuble tout en strates au centre de la cité, il a réalisé l'aménagement du lac de Pampulha en amont de la ville. Cet ensemble a été commandé par le président Kubistcheck, alors qu'il n'était que maire de la ville.


Tout en courbes, le Casino, le Iate Club, le Club de danse et surtout l'église Saint François d'Assise sont des œuvres remarquables. La légende affirme q'un jacaré (crocodile) vit dans les eaux du lac. Cela ôte l'envie de s'y baigner puisque c'est interdit.


Comme il fait chaud, Augustin nous emmène dans son Club. Tout brésilien d'un certain standing se doit de faire partie d'une telle institution. Celui-ci est un peu à l'extérieur de la ville, au creux d'une vallée cernée par la forêt.


Le Club possède une des rares piscines chauffées de la ceinture tropicale et certainement la seule piscine chauffée au bois ! Vu l'heure un peu tardive de la baignade, nous nous réchauffons dans le sauna. Signe que nous sommes au seuil de l'hiver austral. D'ici quelques mois, la température descendra jusqu'à un insupportable 20°C !


Cela dit, comme à Rio, les maisons n'ont pas de chauffage et certaines nuits d'hiver, la température peut descendre jusqu'à 5°C, le temps de laisser le soin au soleil de tout tiédir et de laisser aux brésiliens la journée pour renifler bruyamment.


Cette bonne journée se devait d'être terminée de façon festive. Augustin a réservé une table dans un haut lieu de la culture de Belo (Belo Horizonte pour les initiés) : le Pedacinhos do Ceu.


Dans un quartier apparemment louche, une grande terrasse couverte abrite une vingtaine de tables et une petite scène où s'entasse six musiciens autour de Ausier Vinicius et son cavaquinho (petite guitare à 4 cordes au son métallique > démo You Tube). Le band, spécialisé en «choro» nous rappelle beaucoup la musique du Cap Vert et sa  «saudade» mais avec des intonations plus positives et joyeuses. Evidemment une partie du répertoire de Moraes et Jobim est resservie en versions sophistiquées et exploratoires. Une SUPER soirée. Le temps passe trop vite. Pour nous aider, le Brésil passe cette nuit (19 février) à l'heure d'hiver ! On gagne une heure.











OURO PRETO

Excursion pour la journée à Ouro Preto (Or Noir), la ville coloniale baroque. Augustin conduit sa Volkwagen FOX qui roule à l'essence mais aussi à l'alcool. Typique du marché brésilien, ces moteurs mixtes coûtent plus cher qu'un moteur mono-combustible. Pour être rentable, il faut que le prix du litre d'alcool soit égal ou inférieur à 70% du prix de l'essence.


Seul problème, malgré la hausse du prix du pétrole, l'alcool se vend à 1,9 réals le litre et l'essence à 2,40 réals. Ce n'est pas vraiment intéressant. La cause en est attribuée à la demande trop forte d'alcool et à une régulation difficile du marché car la canne à sucre n'est récoltée que deux fois dans l'année.


Dans notre étude de marché, le litre de Cachaca issu de la même canne à sucre se vend à peine plus cher que le litre de combustible … Heureusement que le Brésil est un pays chaud. Imaginez la Pologne roulant à l'alcool !


Sur ces aimables réflexions, nous franchissons les cent kilomètres qui nous séparent d'Ouro Preto. La route est bonne, car de nombreux congrès sont organisés dans la ville, classée patrimoine culturel par l'Unesco.


Située dans un cirque de montagnes et bâtie sur un fond de mornes, la ville baroque d'Ouro Preto était la capitale de l'Etat du Minas Gerais jusqu'à la fin du 19ème siècle. Lorsque les mines d'or se sont taries, la ville a perdu des prérogatives et Belo Horizonte a pris la direction de l'Etat.


L'homogénéité de la ville est surprenante, le tissu urbain d'origine est miraculeusement conservé grâce à la perte d'intérêt brutale pour cette ville. Les églises baroques bâties sur les sommets des mornes sont autant de joyaux posés sur la couronne de la ville.


Les habitations se répandent en maisonnettes basses aux toits de tuiles rondes et aux murs de couleurs vives. La visiter est assez fatiguant car les rues sont souvent très raides. Des pentes à 30° ne sont pas rares.


Augustin nous emmène d'abord voir les tréfonds de la terre, la raison même de l'existence d'Ouro Preto : une mine d'or. Et pas n'importe laquelle, celle de Chico Rei (Roi Chico).


Chico était un roi africain. Enlevé avec sa famille et une bonne partie de ses sujets sur son continent natal, il fut expédié manu militari comme esclave dans le Nouveau Monde. Sa femme et la plupart de ses enfants périrent durant le voyage.


L'aristocratie et l'ascendant naturel de l'homme eurent vite fait de l'imposer, même dans la communauté blanche. L'histoire retient que les esclaves se cotisèrent pour acheter son affranchissement. Puis qu'il racheta pour une somme très modeste une mine stérile dans laquelle il avait travaillé.


Chico Reis y travailla dur mais pour son propre compte jusqu'à ce qu'il y trouve un beau filon d'ouro preto (2500 kg d'or noir) qui lui permit de racheter tous ses sujets, de prendre femme et de retrouver la richesse qui seyait à son statut de potentat. Cette histoire est passée à la postérité comme le symbole de la liberté au Brésil.


La ville a également engendré le premier groupe de contestataires blancs ayant prononcé le mot « indépendance » devant les représentants de la couronne portugaise. La contestation a tourné court, son chef (Tiradente) s'est fait pendre puis écartelé … Leurs noms resteront à jamais associés à la naissance du Brésil. Une chapelle rassemble les stèles aux noms des antagonistes à côté de la grosse croix de bois qui a servi au supplice post mortem. Souvenir – souvenir !


La ville d'Ouro Preto est unique dans le nouveau monde et il ne faut pas manquer de visiter ses petits musées (surtout celui des oratoires) puis de s'imprégner du charme de son ambiance baroque 19ème … tropical.




LES MAXACALIS

Augustin ! Augustin ! Il n'y en a que pour lui dans les lignes, me direz-vous. Mais que fait Rosangela, sa délicieuse épouse pendant tout ce temps ? Elle reçoit quatre indiens Maxacalis à la maison. Avec trois de ses étudiants, elle progresse dans la connaissance des textes sacrés de la musique de leur ethnie. Rosangela est professeur de musicologie à l'Université de Belo Horizonte. La musique mène à tout et particulièrement à l'anthropologie appliquée.


Pour différentes raisons, les indiens séjournent dans l'appartement de nos amis et ce soir, nous partageons le repas commun. Comme ils adorent le poisson, il est prévu deux grosses poiscailles de près de trois kilos. Il est vingt heures et Rosangela s'inquiète de l'heure du service. Augustin rapporte plusieurs fois que les poissons sont très gros et pas encore cuits. Ceci n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Au moment de passer à table, Augustin nous annonce que nous allons manger du poisson de rivière : le «Pacu».


«Pacu – Pas Cuit !» lance un des indiens à l'œil rieur. Les autres s'esclaffent. Il a réussi un jeu de mots en français phonétique, langue qu'il ignore complètement. Ses camarades répètent encore le jeu de mots, «Pas cuit» doit avoir un sens que nous ignorons. Finalement, nous apprenons que «Pacuy» signifie en maxacali «Tu as un fils aveugle», ce qui est la pire des choses pour eux. Dans la bonne humeur générale, chacun tente dans un sabir portugo-maxalien arbitré par Rosangela, d'apprendre quelques mots aux autres. Je ne retiendrai que «Tiouf Pei» = c'est bon et un mot clé «baï xeca» = c'est super !


Les Maxacalis sont des indiens du nord-est de l'Etat du Minas Gerais. Réduits à moins de 50 individus à la fin des années 40, par suite de maladies, de l'alcool, des chasses où ils tiennent le rôle du gibier. Ils sont maintenant un peu moins de 1.200, répartis en deux groupes.


Ils vivaient dans la forêt primaire atlantique, le long de rivières poissonneuses et habitent maintenant une réserve qui leur a été concédée par le gouvernement, après déforestation. En guise de forêt, ils vivent sur une terre aride qui ne nourrit que des buissons stériles. En guise de rio, ils n'ont plus qu'un ruisseau boueux où du fretin survit tout aussi misérablement qu'eux. En guise de culture, le gouvernement finance une école.


Que leur reste-t-il ? Comment ne pas succomber sous le poids de l'exclusion sur sa terre, sur la Terre ? Comment résister aux tentations de l'alcool offert par jeu par les blancs et qui les rend si violents entre eux ? Comment vivre avec ce statut de sous-homme affiché par toute leur physionomie ? Il ne fait pas bon être un indien au Brésil et ailleurs. Ni antan, ni maintenant.


Il reste le passé, la culture d'un peuple presque décimé, la mémoire des anciens. Les Maxacalis ne connaissaient pas l'écriture avant le contact avec les hommes blancs, voici 300 ans. Leur savoir s'est toujours transmis de façon orale par les chants. C'est toujours le cas aujourd'hui et ils sont conscients que c'est un miracle.


Rosangela travaille avec eux depuis plusieurs années. Avec leur pleine coopération et motivés par un même désir d'aboutir, ils ont entrepris de coucher sur papier l'ensemble des chants sacrés qui contiennent la mémoire des anciens. Ces chants décrivent l'univers des Maxacalis, leur forêt, les animaux, les poissons, les anciens, les esprits, les relations humaines, les relations entre les humains et les esprits.


Ils peuvent décrire par exemple toute une série d'animaux qui ont disparu de leur environnement depuis bien longtemps. Sur douze espèces d'abeilles qu'ils dépeignent, ils n'en ont jamais vu que les deux qui survivent dans la réserve. C'est la même chose pour les poissons.


La transcription des textes est très ardue. Les chants sont en langue sacrée, différente du langage maxacali quotidien. Après avoir enregistré des nuits entières de rites sacrés, deux des étudiants de Rosangela transcrivent le son en écriture phonétique. Ces textes sont traduits en langue maxacali par les chamans et les instruits de l'ethnie, puis en portugais de façon collégiale.


J'ai vu les retranscriptions de certains chants. La précision du phrasé est étonnante. Des mots sont répétés des dizaines de fois consécutivement, mais le nombre de répétitions est précis, toujours le même. Pas un de trop, pas un de moins. La langue est totalement hermétique à un ignare comme moi et difficile à écouter des heures durant.


CLIQUER ICI pour entendre un extrait de chant Maxacali.


Quel plaisir de regarder les Maxacalis penchés avec beaucoup de concentration sur le grand atlas brésilien des animaux tropicaux. L'un montre du doigt une illustration et ensemble ils chantonnent le chant sacré qui décrit l'oiseau. «Une plume noire au-dessus de l'œil, une penne jaune sous l'aile, …». Avec la Faculté de Biologie, il a été possible de recenser certaines espèces disparues qui vivaient dans la région.


Les Maxacalis dorment peu et s'intéressent à tout. Rosangela leur propose de regarder sur l'ordinateur familial quelques images du site de Caramel et de leur expliquer ce que nous faisons. C'est bien difficile de ramener à des concepts ultra simples, un grand voyage sur un voilier de plaisance. Nos mondes sont à des années-lumière et pourtant nous avons un grand intérêt réciproque.


Quelques clics sur des images de Caramel sur l'océan qu'ils n'ont jamais vu et sur les indiens Warao de l'Orénoque. Les questions fusent : « Ton bateau ne se remplit-il pas en cas de forte pluie ? – Où dors-tu ? – Où fais-tu la cuisine ? ­– Comment manges-tu si tu restes si longtemps en mer ? – …». Je suis souvent piégé en répondant de façon trop compliquée et les photos du site ne sont absolument pas appropriées pour répondre à ces questions. Rosangela me rassure et traduit à sa manière.


A notre tour, nous nous intéressons à leur quotidien. Ils déballent chacun un petit commerce de bijoux faits de graines, de plumes et de liens végétaux. Catherine fait son choix en veillant à ce que le montant des achats soit équilibré, mais nous comprenons tardivement que les indiens représentent chacun plusieurs familles d'artisans. Bon, tout le monde à l'air content.


Rosangela est épuisée par le travail et la présence permanente des indiens. Augustin organise une visite au zoo de Belo Horizonte. C'est une grande joie pour les Maxacalis. Ils voient des animaux vivants qui existaient dans la forêt de leurs ancêtres. Ils courent partout pour tout voir. Le grand gorille noir et les éléphants ont la palme, même s'ils sont nettement africains. Ils me demandent une photo d'eux devant les éléphants.


Devant le parc du puma, le silence se fait. La bête par chance laisse échapper plusieurs rugissements. Un des indiens répète plusieurs fois le rugissement, au cas où il le rencontrerait dans les ténèbres d'une transe sacrée, nous dit-il. Plus loin, l'un d'entre-deux observe en silence un «gaviao rei» (milan royal ?), puis se met à chanter doucement le chant sacré qui le décrit.


Rosangela me dit qu'il y aura beaucoup de choses à raconter la semaine prochaine en retournant au village.


La philosophie première des Maxacalis est que tout apprentissage est source d'enrichissement. Le monde des esprits connaît tout ce que nous voyons puisque cela existe. Donc assimilons-le. La haine ne fait pas partie de leur univers. Heureusement pour l'homme blanc.


Les règles qui régissent leur communauté sont complexes et radicales à la fois, donc fragiles. Ils sentent que la transmission orale de leur culture en est peut-être à sa dernière génération. Mais transmettre son savoir oral dans une langue sacrée vers un papier écrit en portugais, n'est-ce pas renoncer à ce qui les a miraculeusement maintenus en vie jusqu'aujourd'hui ? N'est-ce pas renoncer à la différence entre l'homme qui nous force le respect et l'animal au rang duquel il est rabaissé par certains de ses compatriotes ?


A propos, vous avez lu ce long texte en prononçant mentalement «Maxacali». Cela se prononce «Machacali» et cela veut dire «Humain» dans leur langue.


Je suis optimiste car les Maxacalis n'en sont pas à leur première embrouille. Un missionnaire a vécu pendant plus de vingt ans à leur côté pour les évangéliser et traduire patiemment le maxacali en portugais. Après 20 années de travail, il a enfin pu faire imprimer des bibles en langue locale. Les indiens l'ont poliment remercié, puis ont utilisé les pages des bibles pour rouler des cigarettes et faire de la fumée nécessaire pour les rites sacrés.


Retombons sur terre après avoir un peu exploré la canopée de l'homme tropical. Nous décidons de rentrer en avion sur Rio après l'expérience du voyage aller en bus. Caramel nous attend sagement à la marina. Tout est en ordre. Nous mettons le dinghy à l'eau pour aller faire de l'approvisionnement à Paraty, au fond de la baie.


Dans deux jours, Augustin, Rosangela et leur fils viendront passer quelques jours de vacances sur Caramel pour une croisière dans la baie d'Ilha Grande, entre Paraty et Angra dos Reis, dans un autre Brésil, à une autre échelle sociale, avec d'autres valeurs et d'autres écueils. 




GALERIE DES BRESILIENNES
























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Fait à Paraty le 05 mars 2006, encore songeur sur ce que je viens d'écrire.


Crédit photos : Patrick et Catherine 




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