Voyage 2001 - 2003

de Caramel

CHAPITRE 06 : SENEGAL - DAKAR - SINE SALOUM


Dakar c'est la grande ville, nous avons la chance d'être au centre ville (le Plateau) en sortant de l'hôtel. Nous sommes happés dès la sortie par une armée de petits vendeurs de tous ordres : tissus, artisanat, cigarettes, sachets d'eau, taxi. Tous se bousculent pour attirer les faveurs de notre portefeuille dans une ambiance très bon enfant. Il faut savoir s'y prendre et on apprend vite.


Le sénégalais ne souffre pas d'un manque de communication, mais d'un excès de communication. Un contact s'établit toujours de la même manière :


Eux - Bonjour

Nous - Bonjour

Eux - Ça va ?

Nous - Ça va et toi ?

Eux - Ça va bien, comment tu t'appelles ?

Elle - Catherine

Eux - C'est un joli nom. Bienvenue au Sénégal. Tu veux voir des jolis tissus ?


Alors soit vous commettez l'imprudence de regarder ses tissus et il embraye sur une tirade commerciale infaillible, soit vous les remerciez en continuant votre chemin. Ils peuvent vous poursuivre pendant un bout de chemin et se souviennent toujours de votre prénom le lendemain en vous ré-accostant.


La seule solution pour circuler, c'est d'avoir l'air de savoir où l'on va, ce qui n'est pas du tout évident quand on met les pieds à Dakar pour la première fois. On doit donc marcher d'un pas rapide et décidé, ce qui nous fait faire rapidement de kilomètres dans la chaleur.


Plein de CFA dans un distributeur de billets (facile et 100 CFA = 1 FF), nous voilà armés pour goûter la cuisine sénégalaise. Un vieux bistrot sur le marché Kermel nous fait découvrir le poulet yassa (aux oignons) arrosé d’une Gazelle (bière locale légère en bte de 66 cl !).


Nous remontons vers le Teranga, interpellés tous les dix mètres par les vendeurs. Nous comprenons rapidement que si nous marchons au soleil, nous sommes moins happés. Dur.


Fin d'après-midi : piscine et repos. Les quarts de la nuit dernière ont été longs.


L'ambassadeur de France et le Ministre du Tourisme, fraîchement nommé nous convient ce soir à une réception sur la terrasse de l'hôtel. Chacun y va de son petit discours. Celui de l'ambassadeur sur le développement des activités nautiques au Sénégal remporte notre adhésion. Pour le Sénégal hip hip hip ...


Départ pour une excursion vers le Lac Rose en camion 4 x 4. Le groupe de trois camions nous balade autour de ce lac d'eau de mer aux reflets rosés. Les sauniers font un dur métier. Ce sont des maliens (du Mali…) qui sont invités à le faire. Le sol de ce lac peu profond est couvert d'une croûte épaisse de sel qu'ils brisent avec un pieu de bois, puis ils plongent pour ramasser les morceaux détachés, en chargent leur pirogue et ramènent le tout sur la berge où les femmes font des monticules. Le sel ramassé est noir et devient gris après quelques jours au soleil. La peau des travailleurs se ratatine dans ce lac hyper salé. Ils ne travaillent pas plus de deux ou trois ans au terme desquels ils sont cuits par le sel. Dur labeur sous cette chaleur.


Nous continuons notre balade dans un village "typique" pour touristes. Le chef de village, certainement diplômé d'HEC et ne manquant pas d'humour nous accueille avec une tirade sur les prospectives de développement de son village dans le cadre de son contrat d'élu et choisit parmi les femmes du Rallye quelques élues pour servir d'épouse de réserve. Catherine est la première élue et se voit décerner le titre de "Beau morceau".


Pour notre chef africain la relation de couple est simple. Tout se résume aux problèmes d'un côté (les femmes) et aux solutions de l'autres (les hommes). Plus un homme est riche, plus il a de problèmes. Nous sommes dans un pays à 95% musulman, il nous apprend que le Coran conseille quatre épouses si la "solution" à les moyens de les traiter sur le même pied.


Au Sénégal, le coran est interprété de façon locale et ouverte. Les autres religions ont le droit de cité et le dogme musulman est fort teinté d'animisme. Les Marabouts qui sont très nombreux, doivent être professeurs de Coran. Ils ont des spécialités, les uns pour soigner telle ou telle maladie, d'autres protègent contre les sorts ou les faiblesses. On ne plaisante pas avec le maraboutage, même les voitures sont concernées, notre camion porte deux amulettes scellées autour du volant. Notre guide nous explique très sérieusement que certains marabouts célèbres fabriquent des amulettes contre les balles de fusil, les expériences négatives n'ont probablement jamais porté plainte…


Fin de la balade sur la grande plage du nord de Dakar où les grands rouleaux turquoises de l'océan terminent leur course, comme le Paris-Dakar.


Ce soir c'est l'anniversaire du Captain, Daniel qui doit prendre son avion, nous quitte en début de soirée. Nous enchaînons dans le meilleur resto de Dakar, le Lagon bleu, édifié sur pilotis au-dessus de la mer à 500 mètres de notre mouillage. Splendide endroit aéré.


Alban et Marie-Claire nous arrivent en fin de semaine, ils vont nous accompagner durant notre escapade africaine sur le Saloum et les quelques jours qui nous restent à Dakar.


Nous visitons ensemble par le ferry boat, la petite île de Gorée à quelques milles au large. La légende veut que ce soit le lieu de rassemblement du "bois d'ébène" (les esclaves africains) avant l'embarquement vers le Nouveau Monde, mais c'est passablement faux et ce n'est qu'un piège à touristes, joli du reste mais un piège tout de même. Nous y avons aimé les ruines de l'ancien palais du Gouverneur et l'activité des jeunes filles du marché qui nous interpellent dès la descente du ferry : «Ohé jolie Gazelle, viens avec ton Ministre des Finances chez Catherine Deneuve (c'est son nom de bataille)". Nous y sommes allés, Catherine a réussi à contenter la plupart des "actrices" en achetant colliers aux unes et bracelets aux autres mais Catherine Deneuve n'a pas aimé que Marie-Claire achète plus de bricoles chez sa concurrente Claudia Schiffer. Nous reprendrons le ferry avec des menaces de maraboutage sur des parties très privées de l'anatomie d'Alban.


Catherine part de bon matin à la recherche d'un super marché susceptible de livrer sur le Siné Saloum, des vivres frais pour les 17 bateaux du Rallye, ceci avant notre départ pour la transat. Après plusieurs contacts, elle finit par trouver un accord favorable avec un grossiste libanais. Il ne nous reste plus qu'à établir une liste de base à faire remplir par chacun des bateaux, à la collecter, à les additionner, à les rentrer dans un tableur Excel, à collecter les fonds, à trouver les erreurs de caisse, à payer d'avance le fournisseur en se promenant dans Dakar avec plus d'un million CFA en liquide, … never again.


Un bonne demi-journée pour refaire les pleins de gasoil et d'eau dans l'immonde port de commerce de Dakar, suivi d'une séance de relaxation à la piscine du Teranga et nous voilà partis pour une descente de 70 miles vers le fleuve Siné Saloum.


Les bateaux ont rendez-vous en fin de journée devant le village de Djifer à l'embouchure, puis Philippe, l'organisateur, nous guide avec un piroguier dans la passe qui amène au fleuve. En 1988, une tempête a mangé une bonne partie de la presqu'île formée par la sortie du fleuve parallèlement à la mer. Le village a été en partie emporté. En file indienne, nous embouquons la passe et mouillons devant le village, côté fleuve dans une eau tranquille.


Djifer est un village de pêcheurs, tout est tourné vers la mer qui est si généreuse ici. C'est un visage du Sénégal que nous ne connaissons pas. Ici pas d'électricité, pas d'eau courante, pas de routes, mais des bougies, des lampes à gaz, un puits d'eau saumâtre et des pistes de sable.


Le soir à la rentrée des pirogues sur la plage, c'est presque tout le village qui est les pieds dans l'eau. Nous nous y mêlons sans que cela ne gêne personne. Tout est haut en couleur, les pirogues bigarrées, l'accoutrement des pêcheurs et des villageois.


Des centaines de kilos de poissons sont sortis chaque jour de ces pirogues creusées dans le bois et qui ne cèdent au modernisme qu'un indispensable moteur hors-bord. Nous ouvrons grand nos yeux devant cette animation que nous n'osons pas filmer. Des poissons, des calamars et des coquillages de toutes tailles et couleurs sont jetés à même le sable. Les "mareyeurs" achètent le poisson ou le calamar à la pièce, échangeant un billet de 500 CFA adroitement extirpé d'une liasse tenue dans la main gauche contre le céphalopode gluant reçu dans la main droite. La négociation est toujours de mise. Des camions chargés de glace, attendent pour le transport sur Dakar.


Les coquillage sont traités sur place. Il y en a d'énormes, de la taille d'un ballon de football. Ils sont cassés directement sur la plage et tranchés en deux. Les murex sont fracassés au marteau par centaines et la chair est grillée. Un espace sur le rivage est dévolu aux entrailles de poisson, un autre aux coquillages brisés. Ils forment des amas de plusieurs tonnes, d'une puanteur effroyable.


Notre mouillage est heureusement situé un peu en amont et au vent, devant le Campement Sangomar. Nous débarquons à chaque fois avec l'annexe que nous laissons sur le sable.


L'équipage s'en va visiter en pirogue la mangrove caractéristique de la région du fleuve. Les palétuviers bordent les rives du fleuves et les îles qui forment le delta. Les oiseaux sont très nombreux : pélicans, aigrettes blanches et noires, courlis, martin-pêcheurs, hérons Goliath cohabitent avec les oiseaux de mer plus classiques. Des crabes aux pattes bleues nagent la tête en bas juste sous la surface, des colonies d'huîtres poussent sur les tiges des palétuviers. L'eau frissonne souvent de bancs de petits poissons argentés. Des méduses oranges ne nous incitent pas trop à la baignade.


Avant de quitter le campement, Catherine passe commande d'un boubou vert imprimé de jolis motifs africains chez Adama, un des nombreux tailleurs locaux. Réalisation du vêtement sur mesure en moins de quatre heures pour 130FF, suivi d'un essayage apparenté à un spectacle. Imaginez Catherine de nuit et en petite tenue, entourée du tailleur et de son aide tandis que une douzaine de badauds se pressent sur la devanture de la case de 4 mètres carrés pour faire des commentaires. Retouches faites sur le champs, Catherine retraverse le village affublée du surnom de "Sénégauloise". La dite tenue fera tout autant impression sur les dames du Rallye qui iront grossir le chiffre d'affaire d'un Adama comblé.


Nous remontons le fleuve sur 50 km, toujours précédé par notre guide en pirogue pour atteindre le Campement de Foundioune, dans le village du même nom. Nous renouons avec la baignade dans la petite piscine du Campement. C'est un délicieux moment de fraîcheur après une journée chaude.


Excursion dans la "brousse" ou plutôt la campagne environnante avec une (très) vieille Peugeot break 505. cette balade ne nous laisse pas une impression exceptionnelle, car cette partie du Sénégal est finalement partout pareille, savane et arbres isolés comme les baobabs et le fromagers. La fin de la journée nous ravit chez Anne-Marie qui tient avec ses copines un petit resto à Foundioune.


Nous redescendons seuls le Saloum, quartier libre pour le retour sur Djifer. Nous choisissons d'ancrer devant le campement d’Hakuna Matata, près de l'embouchure du fleuve. Dans cette courbe du cours d'eau, la profondeur est grande et c'est proche de la plage mais par 15 mètres de fond que nous jetons la pioche. Le village de MarLodj est à 4 kilomètres du campement. Nous voilà partis au travers d'une belle savane : des herbes basses, des grands arbres isolés : baobabs, fromagers, noix de cajou, eucalyptus, acacias, palmiers divers. Beaucoup d'oiseaux : toucans, merles bleus, vanneaux éperonnés, aigrettes, martin-pêcheurs, ce petit monde peu farouche se donne en spectacle. La piste traverse des zones de sable, créées par l'érosion en saison des pluies. Mamadou revient de son champs d'arachides et se joint à nous pour rentrer au village. Ponctuant le début des ses phrases par un chaleureux et inimitable "ouuuiii", il est fier de nous expliquer les noms de la faune, de la flore, les particularités de son village où ils sont tous cousins et où règne une grande ouverture d'esprit puisqu'ils sont tous catholiques à la naissance, puis choisissent plus tard de rester catholique ou de devenir musulman. Une petite communauté animiste est aussi intégrée dans le village.


Nous rentrons dans le village par la piste du Baobab sacré, puis passons devant la mission des bonnes sœurs De Saint Cœur Marie (pas les sœurs de 5 heures), qui gèrent le dispensaire et l'école. Tous les enfants du village sont à nos trousses : "Donne-moi un cadeau" dit l'une, "Tu n'as pas un bonbon" dit l'autre, malheureusement nous sommes partis les poches vides et les mamas sont déçues que nous n'achetions rien de leur artisanat.


Mamadou nous présente à son père, à sa mère et se propose de nous raccompagner au campement sur la carriole familiale. "Asha, Asha" le cheval trotte et nous sautillons tous, assis sur la petite plate-forme de bois montée sur un essieu de voiture (pas une Citroën en tous cas). Une balade au soleil couchant ponctuée par des arrêts pour refixer le harnachement de l'animal.


Un verre sous la paillote-bar du campement inondé de calme et de paix, plénitude baignée du piaillement rythmé des oiseaux africains. Ouf, on a vraiment l'impression d'être en Afrique. Hakuna Matata ! (= pas de problème en linguala)


Nuit des bestioles devant le campement. Nous sommes envahis par toutes sortes de bestioles bizarres ayant au moins en commun une paire d'ailes. A partir de là toutes les variations sont permises : plusieurs paires, des pattes sauteuses, des antennes, des dos ronds, parfois le tout en même temps. Certaines plus vicieuses se permettent de puer le formol quand on les écrase. Il faut se laver les mains. Vivre dehors après le coucher du soleil est difficile sur le Siné Saloum, souvent la seule solution est de se planquer sous sa moustiquaire avec son bouquin et faire semblant de ne pas voir les bestioles qui crapahutent sur le voile de tulle. On se couche tôt sur le Saloum et on profite le la fraîcheur de l'aube.


Dernier petit bord pour rejoindre Djifer, dernière escale avant le grand saut. Dernier bain dans le fleuve pour Marie-Claire et Alban, brasses au fil de l'onde …. 26 degrés.


Ce soir, c'est la veillée d'armes. Demain, les plus petits bateaux partent à 08h00. Catherine part avec Michel de "If" pour prendre livraison des 800 kg de vivres que nous avons commandé pour le Rallye chez le libanais. Il a tenu parole et les vivres sont bien arrivés, correctement emballés à 20 km de notre point de mouillage. Il faut louer 2 camionnettes (des 504 breaks sans fenêtres ni tableau de bord !) et ramener le tout au campement. Le partage des commandes se fait sur la plage, armés de lampes et d'une balance. Le comportement humain des plaisanciers n'ayant rien à envier au désordre maraîcher africain. Pénible soirée.


Notre équipier pour la Transat : Jean-Philippe arrive enfin à Djifer, après 48 heures passées à Dakar pour la paperasserie douanière.


Pour notre dernière soirée, Marie-Claire et Alban nous invitent chez le restaurateur du village : moitié sénégalais par son père et moitié vietnamien par sa mère, il est issu d'une union amoureuse durant la présence militaire française en Indochine. Revenu au Sénégal, il passe sa vie comme sapeur-pompier à Dakar et se retire très simplement à Djifer. Avec son maigre trésor, il construit une maisonnette sur la plage. Une tempête de 1998 lui enlèvera ses trois chambres et son living. Courageusement, il continue son resto avec le reste de la maison, c'est à dire la cuisine et nourrit ses rares clients sur l'unique table, posée à même la plage. Nous passerons la soirée à discuter avec cet homme âgé et sage qui tenait sur ses genoux son douzième enfant.


Dimanche 02 décembre 2001, nous quittons le mouillage de Djifer et retraversons la passe avec les trois derniers bateaux pour la plus grande traversée : transat Sénégal - Brésil.


***


Catherine & Patrick à bord de Caramel -  09 N et 21 W, dans la pétole - 05 décembre 2001 



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