Jean-Claude, mordu de pêche et spécialiste de la bonite.

Des équipiers de choix oeuvrant au BBQ du bord à Trinidad.

L’équipier sommeille et le Captain lit. Mais alors qui veille ?

Les équipiers

Vie à Bord

Les pires histoires circulent à ce sujet sur les pontons et dans les mouillages désoeuvrés, en saison sous la ceinture cyclonique. Je songe à notre expérience personnelle. Le sujet est délicat et risqué : j'en ai vu venir aux mains. Si le ponton ou la côte ne sont pas éloignés, le problème est rapidement purgé. S'il reste 1000 milles avant toute terre, le chancre va encore enfler et la pression monter. Le pire est déjà arrivé (voir la littérature).


La promiscuité, le mauvais temps, le mal de mer, la fatigue, les humeurs, la non communication, la durée du voyage sont quelques uns des catalyseurs qui peuvent électriser les relations entre le skipper et les équipiers ou entre les équipiers.


J'essaye de me remémorer les mauvaises expériences de ces quarante années de navigation, elles sont peu nombreuses. Je ne citerai pas de noms, ils se sont dissous dans la mémoire sélective … Avons nous eu de la chance ? Peut-être. Beaucoup de mes amis sont des équipiers de longue date, parfois eux-mêmes skipper et ils sont toujours mes amis.


Sur Caramel, nous avons pour la première fois pris des équipiers "inconnus", recrutés indirectement ou même par Internet. Nous avons essayé de les rencontrer avant le départ si c'était possible. Les semaines avec eux se sont bien passées, car l'objectif commun était de faire de la croisière dans une bonne ambiance, même si nous ne vivons pas nécessairement à terre de la même façon. Avec certains, des "gênes" sont apparues en cours de voyage, mais nous avons tous eu suffisamment de retenue et de savoir-vivre pour terminer correctement le trajet prévu. Personne n'a débarqué avant terme. Certains ont trouvé à bord ce qu'ils espéraient, d'autres pas.


A de rares caractères près, la vie à bord avec des équipiers ne peut avoir qu'un temps, surtout en voyage. Je pense qu'au delà de 3 à 4 semaines, on perd de la résistance aux petites contractions quotidiennes qui sont le lot de la vie en commun dans un espace réduit.


Seul un couple peut tenir sur le long terme, mais pas toujours … Au delà de six mois de croisière, si Madame est toujours à bord, il y a de fortes chances pour qu'elle reste, sinon, le skipper devra faire un choix cornélien ! Il y a toujours quelques demandes pressantes d'équipiers aux Canaries, après un Gascogne musclé …


Il y a 2 types d'équipiers :

  • celui qui vient pour une traversée ou un convoyage. On a besoin de ses bras, de ses yeux, et de ses heures de veille durant les quarts de nuit. Il sait à quoi s'attendre en venant et est là pour faire des milles, pour saluer le gros temps s'il se présente.
  • celui qui est le bienvenu, que nous avons envie de voir, mais dont on n'a pas "besoin". C'est le cas d'amis qui viennent passer une ou deux semaines de vacances. Il ne souhaite pas de gros temps, ni faire beaucoup de milles.


On conviera donc les 2 types d'équipiers en fonction des parties adéquates du voyage. Une chose souvent mal comprise par le second type d'équipiers, est que nous ne sommes pas "en vacances" au sens ou ils l'entendent. Je m'explique : nous vivons sur notre maison flottante depuis plusieurs mois ou plusieurs années. Au même titre qu'eux dans leur quotidien terrestre, nous avons envie de nous reposer, de lire, de nous isoler et pas nécessairement de faire du tourisme à tout crin et de remplir nos journées par 12 heures d'activités. Ceci même au risque de ne pas tout voir dans les endroits où nous passons.


Pour le premier type d'équipier, la seule compétence technique demandée sur Caramel, c'est d'avoir déjà un peu navigué, histoire de savoir ce qu'est le mal de mer et s'il y réagit normalement. Nous ne prenons pas d'équipiers sujets à des crises de maladies (épilepsies, etc…). La compétence technique n'est pas indispensable. Nous en avons familiarisé quelques uns à la navigation et en avons déçu d'autres, car la manipulation des voiles sur un Amel est très simplifiée. On ne torche pas beaucoup de toile et on barre très peu …


A l'embarquement, quelques points sont systématiquement abordés :


  • explications sur le matériel de sécurité du bateau (balise, life-raft, etc…).
  • remise et ajustement du matériel de sécurité personnel (gilet gonflable, harnais …).
  • explication insistante sur le fonctionnement des toilettes (tu bouches = tu débouches).
  • explication des points délicats ou dangereux sur le bateau (consommation eau, winch électriques, …).
  • la participation aux tâches de bord : quarts, vaisselle, nettoyage.
  • remise d'un "Briefing aux Equipiers », petit fascicule de quelques pages reprenant les points essentiels de la vie à bord.
  • mise à disposition de la "Bible de Caramel", gros dossier reprenant toutes les procédures en cas de problème, l'explication synthétique de tous les appareils et instruments du bord, la liste des outils - pièces de rechange - pharmacie (en général, les équipiers préfèrent les BD que la lecture de ce dossier).


J'ai vu sur un bateau copain, le skipper remettre une page imprimée avec tous les conseils à suivre, y compris la manière de s'asseoir sur le pot ! Pourquoi pas si cela évite des dégâts. Sur un autre, c'était plus "hard" : l'équipier devait signer un contrat pratiquement léonin où le skipper avait tous les droits et le pauvre équipier, juste celui d'obéir : la chiourme ! Sur Caramel, on serait plutôt du style épicurien ordonné.


La PAF (participation aux frais), est aussi très variable. Une caisse de bord alimentée au fur et à mesure des besoins, un prix fixe par jour, ou la gratuité sont les limites entre lesquelles il faut trouver son système. Nous pratiquons en général le forfait journalier modéré, car d'abord on n'est pas là pour faire de l'argent en embarquant les équipiers, ensuite parce qu'en grand voyage, on transporte un grand garde-manger, que nous remplissons au fur et à mesure des opportunités du périple. Sur l'Amazone ou l'Orénoque, il faut apporter ses biscuits, car l'avitaillement est parfois impossible. Ce système nous semble juste et équilibré. En Europe, nous pratiquions la simple caisse de bord. Les taxes de séjour, le tourisme, les restos, etc.. sont considérés comme dépenses personnelles.


Nous avons connu de près deux skippers qui demandaient entre 300 et 500 euros par semaine (en 2001) en plus de la nourriture pour le droit d'être équipier sur leur bateau. Dans les deux cas, les skippers ont fini seuls aux Antilles …


Ne pas oublier de contrôler les points suivants :


  • prise en charge dans l'assurance du bateau des frais médicaux en cas d'accident aux équipiers sur le bateau.
  • demander aux équipiers d'être assurés rapatriement, genre EUROP ASSISTANCE.
  • que l'équipier ne soit pas en possession, ni adepte de drogues (bateau saisi dans certains pays).
  • qu'il dispose de l'argent nécessaire pour acheter un billet d'avion retour s'il n'est pas en sa possession.
  • qu'il dispose également du visa d'entrée dans le pays de destination.
  • dans la négative des 2 derniers points, c'est le skipper qui paiera le billet retour de l'équipier + amende …


Pour les faire voyager léger, nous avons à bord le linge de toilette et de literie, mais nous leur demandons d'emporter une paire de chaussures propres à porter uniquement sur le bateau et une autre pour la terre, leur pharmacie personnelle et … du chocolat noir aux amandes ou à l’orange.


Castagne à bord :


Romain avait besoin de cet air du large ou plutôt de changer d'air. Le sien commençait à l'asphyxier. Après une lente dégradation de son couple, sa femme s'était barrée avec les enfants. Dans la foulée son boulot s'était évaporé, le laissant seul et désoeuvré à ressasser du noir. Un copain l'invita à passer quelques jours sur son voilier, le temps d'une traversée de la Manche et d'une virée dans cet autre monde qu'est le Royaume-Uni.


Romain trouva l'expérience super. C'était ce qu'il lui fallait, une sorte de thérapie pour se ressourcer et repartir du bon pied dans une nouvelle direction. Il passa une annonce sur un forum du net, renseigné par un copain navigateur : "Equipier cherche embarquement sur voilier en vue transat ou TdM, disponible maintenant et départ rapide souhaité".


A cette époque, je recherchais quelques équipiers. Nous échangeâmes quelques emails et lui conseillais finalement de naviguer un peu plus pour savoir si la mer lui plaisait vraiment et pour acquérir un peu d'expérience nautique.


Nous l'avons retrouvé dans un cybercafé, par hasard à Tenerife - Canaries. Il avait entendu mon nom dans la conversation Skype que j'avais devant un PC. Son aventure s'achevait là. Il était monté sur un bateau en Méditerranée comme équipier en direction des Caraïbes. L'ambiance à bord s'était dégradée et ils en étaient venus aux poings … Fini le rêve, fini l'exotisme, bonjour la case départ, le moral dans les Docksides.


Cette anecdote concerne un équipier, mais la morale est tout aussi valable pour le skipper tenté par le Grand Voyage : "Ne crois pas échapper à tes problèmes sur la mer, ils embarquent avec toi et ressurgissent toujours au mauvais moment". Cette morale n'est pas de moi, elle est bien connue, mais elle est essentielle. Si vous partez courir le monde, vous le constaterez de temps à autre et c'est toujours triste. Esope, grand marin, a d'ailleurs pondu cette citation bien connue : "L'équipier, c'est la meilleure et la pire des choses" …


Conclusions


Certains couples ne veulent plus entendre parler d'équipiers, c'est un peu extrême. C'est souvent un plaisir d'accueillir des amis à bord pour une période courte (15 jours) ou des équipiers qui rendront la croisière plus confortable par le partage des tâches et plus riche par le partage des expériences.


Restent les solitaires qui ne se posent pas de questions.


Le mot de la fin sera tout de même : Bienvenue !

Dernière mise à jour de l’article : avril 2012

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